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Viens Courir | Actualité

La course sur route au Québec : Pourquoi si peu de coureurs et de coureuses de haut niveau ?


Par Denis Poulet

Il a beau y avoir plus de 100 000 coureurs et coureuses au Québec, ce nombre n’est aucunement prédictif d’une élite de haut niveau. Étrangement peut-être, la masse des pratiquantes et des pratiquants ne génère pas une élite qui se démarquerait au niveau international. Certes, le Québec produit de bons athlètes en course de fond. Ce fut particulièrement le cas dans les années 1980 avec les Jacqueline Gareau, Lizanne Bussières, Odette Lapierre, Ellen Rochefort, Alain Bordeleau et Philippe Laheurte. Le niveau a sérieusement baissé par la suite, mais depuis le début de la présente décennie, il y a de toute évidence un regain : Thomas Fafard, Benjamin Raymond, Maxime Lebœuf, Marc-Antoine Senneville, Anne-Marie Comeau, Élissa Legault et Caroline Pomerleau ont repris le flambeau avec brio.

Mais il ne faut pas se faire d’illusions. Dans les classements canadiens du marathon, la meilleure Québécoise (Anne-Marie Comeau) est 5e, mais elle n’est que 606e dans le monde. Chez les hommes, le résultat de Marc-Antoine Senneville à Valence, en Espagne, le 1er décembre dernier (2:17:07 h) était la 2e performance québécoise de tous les temps, mais elle n’a pas été classée au niveau canadien (elle devrait être la 11e) et se situe à la 1313e place au niveau mondial. Au demi-marathon, Anne-Marie est 9e au Canada et 935e au monde, tandis que Thomas Fafard, par ailleurs finaliste du 5000 m à Paris, est 3e au Canada et 482e dans le monde.

Aucun Québécois n’a participé au marathon olympique depuis Alain Bordeleau aux Jeux de 1984, et aucune Québécoise depuis Lizanne Bussières et Odette Lapierre aux Jeux de 1992. Aux Championnats du monde heureusement, le Québec était représenté par Melanie Myrand à Doha (Qatar) en 2019 et par Élissa Legault à Eugene (États-Unis) en 2022. Élissa a aussi été championne canadienne du demi-marathon en 2023.

Dans toute l’histoire, trois Québécois seulement ont remporté le titre national au marathon : Gérard Côté en 1953, Ellen Rochefort en 1986 et (surprise!) Caroline Pomerleau en 2023.

 

Les meilleures performances en sol québécois au marathon

Malgré ses centaines d’événements de course sur route chaque année, malgré les dizaines de milliers de participants et de participantes, disons-le franchement, le Québec n’est pas une grande destination pour l’élite internationale. Depuis les Jeux de Montréal en 1976, le seul événement à attirer des athlètes de haut niveau a été le Marathon de Montréal, sous ses différentes dénominations. Les éditions des années 1980 ont notamment produit des performances remarquables, très peu à la portée des athlètes locaux.

Dans un relevé des 25 meilleures performances au marathon en sol québécois, on constate d’abord que presque toutes ont été réalisées à Montréal. La seule exception est le résultat de Véronique Vandersmissen au Marathon des Deux-Rives Lévis-Québec en 1999, quand elle a gagné la course en 2:39:03 h, ce qui lui vaut le 23e rang de notre classement chez les femmes.

Les 25 meilleures performances en sol québécois au marathon

Il n’y a aucun Québécois dans la liste masculine et deux Canadiens seulement (Jerome Drayton et Art Boileau, 22e et 24e respectivement). La 25e performance se situe à 2:13:38 h. Chez les femmes, on retrouve quatre Québécoises, nos têtes d’affiche des années 1980, dont les performances comptent toujours parmi les meilleurs résultats québécois de tous les temps : Jacqueline Gareau (4e et 5e), Ellen Rochefort (6e et 14e), Odette Lapierre (10e) et Lizanne Bussières (16e), toutes avec des chronos à moins de 2:37 h.

On note la diversité de provenance de ces super-athlètes, avec une quinzaine de pays représentés. Et si la majorité des performances ont été accomplies dans les années 1980, certaines des meilleures sont beaucoup plus récentes, notamment les deux records de compétition, soit 2:09:25 h par l’Éthiopien Shumie en 2022 et 2:28:01 h par la Rwandaise Nyirarukundo en 2018.

À noter également, sept performances masculines ont été réalisées aux Jeux olympiques de Montréal en 1976. L’Allemand Waldemar Cierpinski, qui l’avait emporté en 2:09:55 h, avait placé la barre haut : ce « record québécois tout-venant » ne sera battu que 46 ans plus tard. Les 2:09:25 h de Gadisa Shumie au Marathon Beneva de Montréal le 23 septembre 2022 restent toutefois une performance relativement modeste : c’était cette année-là la 245e du classement mondial!

 

Masse vs élite

Les performances magnifiques réalisées en sol québécois n’ont cependant aucun effet d’entraînement. Leurs auteurs viennent et repartent aussitôt, ne laissant aucune empreinte durable, ne suscitant aucun engouement.

Curieusement, après les Jeux de 1976, le gouvernement du Québec s’est orienté plutôt vers une politique de soutien privilégiant la masse au détriment de l’élite, favorisant donc la pratique récréative plutôt que le développement de l’excellence. Cela n’a pas empêché l’émergence d’une foule de champions et de championnes dans certains sports, surtout des sports d’hiver (patinage de vitesse, patinage artistique, ski acrobatique, etc.). Mais l’athlétisme est resté sur la touche.

C’est ainsi que les événements de course sur route ont pu continuer à être populaires, sans aucune ambition de développement d’une élite. Le nombre de participants et de participantes semble ainsi toujours plus important que la qualité des courses en termes de performances.

Le développement d’une élite est généralement fonction de « niveaux de pratique », du récréatif au plus haut niveau. Les Fondements de la pratique sportive au Québec décrivent les différents stades de développement : découverte, initiation, récréation, compétition, excellence. Or, la très grande majorité des participantes et participants aux courses sur route ne font pas partie d’un bassin qui pourrait constituer en quelque sorte le groupe des espoirs de l’athlétisme en course de fond. Ce qu’on peut appeler la « pyramide » du développement d’une élite ne fonctionne pas ici, contrairement à des sports comme le hockey ou le soccer, où ce sont des jeunes qui constituent la base appelée à gravir les échelons.

 

Même pas 4000 coureurs et coureuses membres de la Fédération

Ajoutons que la course sur route au Québec s’est développée le plus souvent en marge des politiques de développement de la Fédération québécoise. Il y a à peine une douzaine d’années que la Fédération offre un service professionnel au milieu et sensibilise les organisateurs de compétitions à l’importance de certaines normes pour crédibiliser les courses : mesure exacte des parcours, validité du chronométrage, sécurité des participants, etc.

Ce n’est que depuis le début de la décennie que la Fédération reconnaît de véritables records en course sur route. Il y a tout un arrimage en cours depuis quelques années entre le monde dispersé et multiforme de la course sur route et la structure de régie de l’athlétisme, mais le nombre de coureurs et de coureuses qui deviennent membres de la Fédération reste minime : on parle en 2024 de 3619 membres « hors stade », une goutte d’eau par rapport à la masse de plus de 100 000. C’est quand même une progression, car on ne recensait que 695 membres « sur route » en 2019 (avant la pandémie).

 

Courir… pour toutes sortes de raisons

D’un point de vue individuel, il faut admettre que le chemin pour accéder au plus haut niveau est extrêmement ardu. Contrairement au Kenya ou à l’Éthiopie, s’entraîner comme un dément ou une démente pour se sortir de conditions de vie misérables ou arriver à faire vivre sa famille n’est pas un impératif ici.

S’entraîner pour toujours progresser en course de fond est exigeant, prend beaucoup de temps et ne rapporte que si on est parvenu à un « très haut » niveau. La concurrence internationale est redoutable. Juste regarder les classements des 100 meilleurs ou meilleures du monde au marathon donne le tournis. Il faut vraiment être motivé et se montrer viscéralement compétitif. C’est aussi une question de génétique et d’environnement.

Quoi qu’il en soit et quel que soit le niveau, la course sur route est devenue une facette majeure de l’athlétisme contemporain, au Québec comme partout ailleurs. On peut ainsi courir pour : avoir simplement du plaisir, se dépasser (et en dépasser d’autres), tester ses limites, battre des records, progresser, épater ses proches, améliorer sa santé (ou la maintenir), relever des défis… Toutes les motivations (ou presque) sont permises. Et tant mieux s’il en ressort quelques authentiques champions et championnes!

 

Remerciements à Marilou Ferland-Daigle, Réjean Gagné, Laurent Godbout et Félix-Antoine Lapointe pour leurs judicieux commentaires au moment de la préparation de cet article.