Les 100 meilleures performances québécoises de tous les temps en plein air

Par Denis Poulet, avec la collaboration de Daniel Mercier

En 2017, j’avais publié, sur le site de la Fédération, un classement des 100 meilleures performances québécoises de tous les temps en plein air, chez les femmes et chez les hommes, en me basant sur la Table internationale de cotation de l’IAAF (aujourd’hui World Athletics). C’était un exercice intéressant, même si plusieurs autres facteurs que les performances entrent en jeu si on veut vraiment comparer les athlètes de diverses disciplines.

Deux choses m’avaient intrigué quand j’avais compilé ces classements. D’abord, la sous-représentation des lanceurs et des lanceuses. Aucun lanceur de disque, de marteau et de javelot n’était présent, ni aucune lanceuse de marteau et de javelot. La meilleure performance au poids féminin, les 18,31 m de Julie Labonté en 2011, était loin dans le classement : 42^e. D’autre part, il y avait surreprésentation de certaines épreuves, principalement le 800 m (12 performances chez les femmes, 11 chez les hommes) et le 1500 m (13-10). La Table internationale de cotation était-elle juste et équitable?

J’ai eu des éléments de réponse quelques années plus tard quand Daniel Mercier, créateur avec Nelson Rioux d’une table de cotation différente, a communiqué avec moi pour me faire part de son opinion et proposer de nouveaux classements établis d’après « sa » table. Non, la Table internationale ne rendait pas justice à nos meilleurs athlètes de l’histoire, ses mises à jour périodiques ne tenaient pas compte de plusieurs facteurs qui président à l’évolution de notre sport, il y avait moyen de faire mieux! Élaborer une table de pointage plus équitable est une entreprise complexe et très technique, Daniel Mercier et Nelson Rioux l’ont pourtant fait, leur table est en usage depuis 2019.

Nous voici en 2024, au terme d’une année d’excellentes performances, notamment celles de nos Olympiens, comme je le signalais dans un récent article sur le top 10 québécois de tous les temps. Pourquoi alors ne pas mettre à jour les classements des 100 meilleures performances québécoises de tous les temps? Mais quelle table de cotation prendre comme référence?

Je ne voulais pas renoncer complètement à l’usage de la Table de World Athletics, et d’autant plus qu’elle a été mise à jour en 2022. Mais pour rendre justice à nos lanceurs et lanceuses, je devais prendre la Table Mercier-Rioux. Et pourquoi pas les deux? Ainsi, on saurait tout de suite s’il y a des écarts importants entre les deux approches. Voici donc les deux versions* :

100 meilleures performances québécoises masculines de tous les temps selon la Table World Athletics (Table WA)

100 meilleures performances québécoises masculines de tous les temps selon la Table Mercier-Rioux (Table MR)

100 meilleures performances québécoises féminines de tous les temps selon la Table World Athletics (Table WA)

100 meilleures performances québécoises féminines de tous les temps selon la Table Mercier-Rioux (Table MR)

Similitudes

Ce qui m’a le plus frappé en analysant les deux versions, ce sont d’abord les similitudes. Oui, la Table internationale reste éminemment critiquable, mais Daniel Mercier admet que la Table Mercier-Rioux a aussi des failles et qu’elle aurait besoin d’une mise à jour. Néanmoins, l’analyse permet de dégager plusieurs observations communes.

Le nombre d’athlètes est pratiquement le même dans les deux classements : 59 hommes et 61 femmes selon la Table WA, 63 et 63 selon la Table MR. On a par ailleurs presque le même nombre d’athlètes toujours actifs (en gras dans les listes), soit 15 hommes et 19 femmes dans la liste WA et 16 hommes et 18 femmes dans la liste MR. Cinquante-six athlètes, chez les hommes comme chez les femmes, sont présents dans les deux listes.

Qui a le plus de performances? Dans les deux classements, Charles Philibert-Thiboutot domine avec neuf (800 – 1000 – 1500 – mile – 2000 – 3000 – 5000 – 10 000 – 5 km). Carole Rouillard suit avec sept selon la Table WA (1500 – 3000 – 5000 – 10 000 – 10 km – marathon), mais six selon la Table MR (sa meilleure performance au demi-marathon n’y est pas). Émilie Mondor (1500 – 3000 – 5000 – 5 km – 10 km) et Jean-Simon Desgagnés (1500 – mile – 3000 steeple – 3000 – 5000) en ont chacun cinq dans les deux classements.  Lizanne Bussières en a aussi cinq selon la Table MR (3000 – 5000 – 10 000 – 10 km – marathon), mais quatre selon la Table WA (sa meilleure performance au 5000 m n’y est pas).

Évidemment, on voit tout de suite que les coureurs et coureuses de demi-fond sont avantagés dans ces classements. Ce n’est pas une surprise, car le 800 m et le 1500 m sont les deux épreuves les plus représentées, suivies du 100 m. Là aussi, les deux versions sont assez proches, comme le montre le tableau ci-dessous.

Les épreuves manquantes sont aussi presque les mêmes dans les deux classements : chez les hommes, on n’a aucune performance au 10 km route et au décathlon; chez les femmes, aucune au 10 km marche, au 20 km marche, au triple saut, au javelot et au marteau. Seules petites différences, dans le classement MR, il n’y a aucune performance au marathon masculin (les 2:14:19 d’Alain Bordeleau en 1984 sont en 94^e place dans le classement WA), tandis qu’il n’y en a aucune au javelot masculin dans le classement WA.

Des écarts importants

L’exemple du javelot masculin est éloquent : la Table MR classe le record québécois de 76,66 m de Nery Gustavo Kennedy au 63^e rang, alors qu’il n’apparaît pas dans le classement WA. Comme en 2017, la sous-estimation des performances dans les lancers est manifeste en 2024. Voici quelques autres exemples :

Hommes

Femmes

La Table WA sous-estimerait aussi l’épreuve du 5000 m, comme le montre le tableau suivant :

Hommes

Femmes

À noter que les écarts sont plus grands chez les hommes que chez les femmes.

En revanche, la Table WA surestime peut-être les performances de marche masculines. En tout cas, il y a sept performances dans des épreuves de marche qui se retrouvent parmi les 100 du classement selon la Table WA, mais qui ne se trouvent pas dans le classement fondé sur la Table MR.

Une indéniable progression

Quoi qu’il en soit, ce palmarès des 100 meilleures performances québécoises est un bon outil pour mesurer l’évolution de l’athlétisme chez nous. La progression est indéniable, mais elle est l’est aussi dans le reste du Canada et dans le monde.

J’avais mis à jour les classements selon la Table WA en 2019 et 2022, ce qui permet de comparer les pointages d’accès à la 100^e place depuis huit ans.

Évolution de la 100^e performance (en points) selon la Table WA

En 2017, les hommes devaient obtenir 1058 points pour accéder à la 100^e place, maintenant il leur faut 1089 points. Chez les femmes, la ligne de démarcation est passée de 1050 points à 1086 points. On note la similarité des pointages d’accès dans les deux genres.

Autre signe de progression, le nombre de performances par décennie. C’est depuis 2020 qu’il y en a le plus, et on n’en est qu’à la moitié de la décennie. L’essor du demi-fond québécois explique en grande partie l’abondance des bonnes performances durant cette période, tandis qu’il est évident que les lacunes persistent dans les concours (sauts et lancers). À noter que la répartition est pratiquement similaire selon les deux tables.

Répartition des performances par décennie 

Trente-cinq athlètes (16 hommes, 19 femmes) ont accédé au top 100 du classement WA depuis 2017. C’est réjouissant. L’éclosion la plus spectaculaire est celle d’Audrey Leduc, qui a devancé Rosey Edeh au sommet du classement féminin : pour son record canadien de 10,95 s au 100 m, elle a récolté 1211 points selon la Table WA et 960,7 points selon la Table MR. Elle occupe même la 2^e place au classement WA en vertu de son autre record canadien de 22,36 s au 200 m (1200 points); au classement MR, elle est 3^e derrière Edeh pour cette performance (953,7 pts contre 955,7 pts pour Edeh).

Somme toute, le Top 100 québécois de tous les temps est un outil dynamique qui permet à la fois de comparer les meilleures performances de nos athlètes depuis plus d’un demi-siècle et de voir les forces et les lacunes dans le développement de notre sport, et ce, quel que soit le barème de référence. La discussion est ouverte…

* Les classements présentés n’incluent pas les performances réalisées après le 1^er novembre 2024. On n’y retrouve donc pas le très bon résultat de Thomas Fafard au demi-marathon le 10 novembre à Boston. Cette performance de 1:02:17 h ne lui ferait cependant gagner que quelques rangs dans le bas du classement, quelle que soit la table de référence.