Les Québécois·es aux Jeux olympiques
Article par Denis Poulet
Avec sept représentants et représentantes aux prochains Jeux olympiques, l’athlétisme québécois retrouve pas mal du panache qui le caractérisait dans les années 1980 et 1990. Certes, ce n’est que 14,5 % (7/48) de l’équipe canadienne, mais c’est un pourcentage fort respectable dans une perspective historique. C’est la même proportion qu’aux Jeux de Montréal en 1976 (8/55).
En fait, la participation québécoise aux épreuves d’athlétisme des Jeux olympiques a beaucoup varié au cours de l’histoire. C’est à Séoul, en 1988, que cette participation a culminé. Les 12 athlètes du Québec constituaient alors 19,3 % de l’équipe nationale (12/62). Mais aux Jeux suivants, à Barcelone, avec moins d’athlètes, la représentation québécoise atteignit 21,7 % (10/46). Il y avait également 12 Québécois dans l’équipe canadienne des Jeux de 1984. Toutefois, depuis les Jeux de 1996, cette participation n’a jamais dépassé six… jusqu’à cette année. Et avant les Jeux de Montréal en 1976, où huit Québécois eurent le privilège de concourir devant leurs proches, le nombre de participants québécois n’avait jamais dépassé cinq.
Représentation québécoise aux Jeux olympiques (%)
Surin le plus assidu
Au total, 77 athlètes du Québec ont participé aux épreuves d’athlétisme des Jeux. Bruny Surin est celui y est apparu le plus souvent, soit à quatre éditions consécutives, de 1988 (au saut en longueur) à 2000. Ses résultats comptent aussi parmi les plus brillants avec une médaille d’or (relais 4 x 100 m en 1996) et une 4e place (100 m en 1992). Bruny sera également à Paris, mais cette fois à titre de chef de mission d’Équipe Canada. Nul doute qu’il se plaira à conseiller les athlètes canadiens, en particulier ceux et celles qui participeront aux épreuves d’athlétisme, son sport de prédilection.
Ont participé à trois Jeux : Rosey Edeh (400 m haies en 1988, 1992 et 1996), Guillaume Leblanc (20 km marche et 50 km marche en 1984, 1988 et 1992) et Frank Lukeman (100 m, 200 m et pentathlon en 1904, 1908 et 1912).
Enfin 12 athlètes ont participé à deux Jeux : Lizanne Bussières (marathon en 1988 et 1992), Bishop Dolegiewicz (poids et disque en 1976 et 1984), Phil Edwards (800 m, 1500 m et relais 4 x 400 m en 1932 et 1936), Edrick Floréal (longueur et triple saut en 1988 et 1992), Marcel Jobin (20 km marche et 50 km marche en 1976 et 1984), Odette Lapierre (marathon en 1988 et 1992), François Lapointe (20 km marche et 50 km marche en 1984 et 1988), Nicolas Macrozonaris (100 m en 2000 et 2004), Warren Montobone (400 m haies en 1924 et 1928), Tina Poitras (10 km marche en 1992 et 1996), Achraf Tadili (800 m en 2004 et 2008) et Alex Wilson (400 m, 800 m et relais 4 x 400 m en 1928 et 1932).
Charles Philibert-Thiboutot en sera lui aussi à ses seconds Jeux. Pour nos six autres représentants, ce sera une première.
Tous les participants québécois aux Jeux olympiques
Trios de marcheurs et de marathoniennes
Il faut le souligner parce que la chose est rare, à deux reprises les trois représentants canadiens dans une discipline furent des athlètes du Québec.
Aux Jeux de 1984 à Los Angeles, Marcel Jobin, Guillaume Leblanc et François Lapointe prirent part tous les trois au 20 km marche et au 50 km marche. Leblanc fut le meilleur avec une 4e place au 20 km (c’était huit ans avant sa médaille d’argent de Barcelone en 1992).
En 1988, à Séoul, trois Québécoises étaient sur la ligne de départ du marathon : Odette Lapierre se présenta la première au fil d’arrivée (11e), suivie de Lizanne Bussières (26e) et Ellen Rochefort (31e).
Les médaillés
Nos élu(e)s de cette année (Desgagnés, Fafard, Leclair, Leduc, Philibert-Thiboutot, Plourde et Stiverne) ont des modèles qui peuvent les inspirer. Leurs prédécesseurs et prédécesseuses n’allaient pas aux Jeux y faire simplement de la figuration. Ils y ont réalisé souvent des performances remarquables, même si certains y ont connu quelques déconvenues.
Au total, les Québécois ont amassé 15 médailles en athlétisme aux Jeux olympiques, soit deux en or, quatre en argent et neuf en bronze.
OR (2) : Étienne Desmarteau (poids 56 lb, Saint-Louis 1904); Bruny Surin (relais 4 x 100 m, Atlanta 1996)
AR (4) : Alex Wilson (800 m, Los Angeles 1932); Hilda Strike (100 m et relais 4 x 100 m, Los Angeles 1932), Guillaume Leblanc (20 km marche, Barcelone 1992)
BR (9) : Frank Lukeman (pentathlon, Stockholm 1912); William Happenny (perche, Stockholm 1912); Alex Wilson (relais 4 x 400 m, Amsterdam 1928; 400 m et relais 4 x 400 m, Los Angeles 1932); Phil Edwards (800 m, 1500 m et relais 4 x 400 m, Los Angeles 1932; 800 m, Berlin 1936)
Résultats détaillés de tous les Québécois aux Jeux olympiques
L’homme de bronze
Phil Edwards (1907-1971) en compte cinq à lui tout seul, toutes en bronze. La liste ci-dessus n’en indique que quatre, mais il en avait aussi gagné une aux Jeux de 1928, au relais 4 x 400 m, avant de venir s’établir au Québec en 1931. Né en Guyane britannique, Edwards avait entrepris des études universitaires à l’Université de New York. Il ne pouvait toutefois pas représenter les États-Unis aux Jeux olympiques, n’étant pas citoyen américain, et son pays d’origine n’avait pas d’équipe olympique. En tant que sujet britannique, il pouvait toutefois choisir de représenter un autre pays de l’Empire britannique. Il opta pour le Canada, qu’il représenta aux Jeux de 1928 après avoir participé aux épreuves de sélection à Hamilton.
En 1931, Edwards décida de poursuivre ses études à l’Université McGill, s’engageant dans un long parcours en médecine tout en poursuivant sa brillante carrière sportive. Il s’établit à Montréal, où il devint spécialiste de la tuberculose et des maladies tropicales. Il y est mort en 1971.
Celui qu’on surnomma « l’homme de bronze » vient au 11e rang des meilleurs de tous les temps en athlétisme aux Jeux olympiques selon un classement établi par World Athletics : outre ses cinq médailles de bronze, il compte deux 4e place et une 5e place, pour un total de 44 points, ce qui le place devant des légendes comme Emil Zatopek et Lasse Viren.
Pour en savoir plus sur Phil Edwards, voir sa notice biographique dans l’Encyclopédie canadienne.
Victime d’une double injustice
La Montréalaise Hilda Strike (1910-1989) mérite elle aussi de sortir de l’ombre. Et d’autant plus qu’on a su, près de 50 ans après les Jeux de 1932, que sa grande rivale, la Polonaise Stanislawa Walasiewicz (connue sous le nom de Stella Walsh aux États-Unis), gagnante de la médaille d’or, était hermaphrodite. Elle avait les caractéristiques des deux sexes, ce qu’une autopsie a révélé après sa mort accidentelle en 1980. Les tests d’identification du sexe, introduits aux JO en 1968, l’auraient normalement disqualifiée.
À Los Angeles, les deux femmes avaient été chronométrées en 11,9 s au 100 m, ce qui égalait le record du monde, mais cette marque ne fut jamais ratifiée. Le Comité international olympique refusa de remettre la médaille d’or à Strike, laquelle déclara d’ailleurs qu’elle ne la réclamerait pas : « Ils savent où je suis », déclara-telle simplement au journal Ottawa Citizen.
Pour en savoir plus sur Hilda Strike, voir Hilda Strike : médaillée d’argent ou médaillée d’or?
Une médaille de bronze pour une 4e place
Dans les histoires insolites des Jeux olympiques se trouve celle de la médaille de bronze du Montréalais Frank Lukeman (1885-1946) au pentathlon en 1912. Le pentathlon comprenait le saut en longueur, le lancer du javelot, le 200 m, le lancer du disque et le 1500 m. Le calcul des points était simple : le 1er d’une épreuve recevait 1 point, le 2e 2 points, le 3e 3 points et ainsi de suite. Le total le plus bas indiquait le gagnant. Lukeman se classa 4e avec 29 points, le même total que l’Américain James Donahue, mais on départagea les deux athlètes en calculant leur score à l’aide de la table de décathlon, ce qui favorisa l’Américain.
Peu après, le gagnant du pentathlon (et aussi du décathlon), l’Américain Jim Thorpe, fut disqualifié sous prétexte de ne pas avoir respecté le statut d’amateur avant les Jeux. Le Norvégien Ferdinand Bie hérita de la médaille d’or, Donahue de l’argent et Lukeman du bronze. En 1982, le CIO réhabilita Thorpe, décédé 29 ans plus tôt, et lui rendit sa médaille d’or à titre posthume (de même que celle du décathlon). Les trois autres médaillés ne furent toutefois pas déclassés, conservant leur médaille de 1913.
Autres bons résultats
Si on passe à une époque plus récente, on peut trouver quelques performances dignes de mention (dans les 12 premiers), en plus de la médaille d’or de Bruny Surin et de celle en argent de Guillaume Leblanc :
Los Angeles 1984 : Guillaume Leblanc 4e au 20 km marche, François Lapointe 11e au 20 km marche, Bishop Dolegiewicz 11e au poids, Carmen Ionesco 12e au poids
Séoul 1988 : Julie Rocheleau 6e au 100 m haies, Guillaume Leblanc 10e au 20 km marche, Odette Lapierre 11e au marathon
Barcelone 1992 : Bruny Surin 4e au 100 m
Atlanta 1996 : Rosey Edeh 6e au 400 m haies
Sydney 2000 : Kwaku Boateng 12e au saut en hauteur
Pékin 2008 : Hank Palmer 5e au relais 4 x 100 m
Rio 2016 : Farah Jacques 7e au relais 4 x 100 m
La chute malheureuse de Dave Hill
Parmi les grandes figures de l’athlétisme québécois se trouve Dave Hill, né à Trois-Rivières en 1952. Dave a battu tous les records du Québec de demi-fond au cours des années 1970, du 800 m au 5000 m. Il fut notamment le premier coureur québécois sous les 4 minutes au mille (3:55,9 en 1977). En 1976, l’année des Jeux à Montréal, il était le meilleur Canadien au 1500 m (3:39,7) et était certainement de calibre à atteindre la finale.
Au premier tour de qualification, Dave se classa troisième de sa série en 3:41,2, ce qui était suffisant pour le faire passer à la demi-finale. La première demi-finale démarra comme une course tactique, franchement lente et irritante. Après 250 mètres, Dave prit la tête et galopait allègrement vers sa place en finale quand, à 200 m de l’arrivée, dans le virage, le Néo-Zélandais Walker (éventuel médaillé d’or) et l’Allemand Wessinghage le doublèrent. Dave en fut déstabilisé et trébucha. Sa chute mit fin à sa course.
Personnellement (j’étais dans les estrades), ce fut ma plus grande déception des Jeux. Davantage que la 12e place de Claude Ferragne en finale du saut en hauteur.
Les Jeux olympiques offrent des performances spectaculaires, mais ils sont aussi le théâtre de psychodrames ou d’imprévus qu’aucun participant, aucune participante ne souhaite vivre. Ces aléas font néanmoins partie de l’attrait de Jeux : rien n’est garanti, même pour les meilleures et meilleurs du monde!
Cela dit, je ne souhaite que du plaisir et du succès à nos sept valeureux représentants. Votre seule présence à Paris doublera notre intérêt. Merci d’avance !
Article par Denis Poulet